Περί Σολζενίτσιν (1918-2008) (en francais)
Posted on 17 Δεκ, 2020 in En français, Πολιτική | 0 comments
[Source: https://www.herodote.net/7_cles_pour_lire_son_oeuvre-synthese-2451.php]
Soljénitsyne (1918 – 2008)
[Στα σκοτεινά χρόνια της δικτατορίας (1967-1974) ο εκδότης Πουρνάρας έβγαλε τα ΒΙΠΕΡ (συνδυασμός των λέξεων Βιβλία και Περίπτερο. Επρόκειτο για μικρά βιβλία-τύπου Αρλεκιν, που ακολούθησαν μετά- που έβρισκε κανείς στα περίπτερα σε πολύ προσιτή τιμή. Τότε πρωτογνώρισα τον Ρώσο Αλεξάντρ Σολτζενίτσιν, συγγραφέα αντικαθεστωτικό, Νομπελίστα. Τα δυο του βιβλία “Μια Ημέρα του Ιβάν Ντενίσοβιτς” και το “Αρχιπέλαγος Γκούλαγκ” μας πρωτομίλησαν γι αυτά τα περίφημα Γκούλαγκ που τα ακούγαμε αλλά δεν ξέραμε τί ακριβώς ήταν... Στ.Γ.Κ.]
Οι Γαλλομαθείς μπορούν άνετα να απολαύσουν το παρακάτω δημοσίευμα του Herodote, της σπουδαίας αυτής γαλλικής ιστορικής ιστοσελίδας
————————————————————
7 clés pour lire son œuvre
2018-10-08 [https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=2451&ID_dossier=32]
Avec ses yeux rusés et son sourire formidable, sa stature de géant et sa pugnacité, Soljénitsyne (1918-2008) a surgi des profondeurs de l’U.R.S.S. pour apporter au monde une grande bouffée d’air pur.
Ce fils de la révolution était un communiste romantique avant d’expérimenter dans sa chair l’arrestation arbitraire et la dure réalité des camps (1945-1953). C’est là qu’il conquiert sa liberté intérieure, ouvrant les yeux sur l’envers du système.
En 1962, il publie Une journée d’Ivan Denissovitch mais se voit bientôt contraint de poursuivre son travail de façon clandestine. Livre après livre, l’écrivain génial déploie une écriture novatrice et une critique de plus en plus radicale du régime, jusqu’à L’Archipel du Goulag en 1973.
Sûr de sa mission, il sait que la force du verbe peut ébranler des empires et réveiller des consciences endormies. L’art ne ment pas. Par-delà les mots, il dévoile des réalités spirituelles, la dignité de l’homme et la primauté de Dieu.
Au terme d’un éprouvant duel avec les autorités soviétiques, Alexandre Issaïevitch est expulsé en 1974. Il s’exile en Suisse puis aux États-Unis où il se consacre à la rédaction de La Roue rouge qui sonde les origines du drame russe. Très critique envers l’Occident qu’il juge lâche et matérialiste, Soljénitsyne n’a pas peur de porter une parole de contradiction, sans compromission avec la vérité. Une œuvre savoureuse, subtile et stimulante qui jaillit des entrailles mêmes de la vie.
1 ★ Un homo sovieticus ★
Alexandre Issaïevitch Soljénitsyne naît le 11 décembre 1918 dans une ville du Caucase. C’est la région de sa famille paternelle, une lignée de paysans, aux confins de la Russie méridionale. Pendant la Première Guerre mondiale, son père s’est engagé dans l’armée du tsar.
En 1917, il s’est marié au front avec Taïssa Chtcherbak, d’un milieu plus aisé, qui arbore le visage rond et basané des filles des steppes. La même année, deux révolutions successives ont emporté le régime impérial à Pétrograd, bien loin de là, pour laisser place au pouvoir bolchévique.
Orphelin dès sa naissance à cause d’un accident de chasse, le garçon est élevé seul par sa mère. En 1924, elle s’installe à Rostov-sur-le-Don, au bord de la mer Noire, sans doute pour se rapprocher de sa terre d’origine. C’est là qu’Alexandre Issaïevitch grandit jusqu’à intégrer l’université de physique et de mathématiques de la ville en 1936.
Comme tous les enfants de sa génération, il participe aux Jeunesses communistes. C’est un socialiste convaincu qu’on pourrait taxer de marxiste romantique. Sa mère l’emmène quelquefois à l’église, avant qu’elles ne ferment définitivement. Le jeune homme aime le vélo, le football, le théâtre et la littérature.
Devenu enseignant dans le secondaire, il est mobilisé en octobre 1941, quand l’U.R.S.S. s’engage dans la Seconde Guerre mondiale aux côtés des alliés. Le soldat devient vite officier. Il est décoré de l’ordre de l’Étoile rouge pour sa bravoure dans les combats de Prusse. Les premiers essais de plume datent de cette période.
2 ★ L’expérience fondatrice des camps (1945-1953) ★
Tout bascule le 9 février 1945. Il a vingt-six ans. Le jeune capitaine soviétique est arrêté dans le bureau de son colonel, au bord de la Baltique, juste avant la capitulation allemande. Pourquoi ? La Sûreté militaire a intercepté sa correspondance avec un ami d’enfance, Koka, dans laquelle il donne son avis sur le destin de son pays, critiquant à mots couverts les orientations que Staline a données au projet révolutionnaire.
L’affaire est rondement instruite à Moscou dans le célèbre immeuble de la Lioubianka, bastion du KGB. Le 27 juillet, Soljénitsyne est condamné à huit ans de camp de travail et de redressement en vertu de l’article 58 du code pénal. Après deux ans d’internement, il est transféré à la charachka de Marfino, toujours à Moscou.
Cette prison pour savants exploite ses compétences scientifiques dans un laboratoire d’acoustique. Un camarade, Dimitri Panine, témoigne de son obstination à défendre les droits les plus infimes des prisonniers politiques, de la portion de farine à la restitution d’un livre confisqué. Alexandre Issaïevitch commence à composer des œuvres clandestinement.
En mai 1948, il est expédié dans un camp de travaux généraux au Kazakhstan où il exerce le métier de fondeur puis de maçon. Les conditions de vie sont beaucoup plus rudes. C’est dans cette Asie profonde, au camp d’Ekibastouz, qu’a lieu en 1952 la première grève de détenus du système du Goulag. Soljénitsyne y participe.
L’expérience concentrationnaire transforme ses convictions, provoquant la rupture idéologique avec le communisme. Elle forge l’homme, l’écrivain, le lutteur. En 1953, sa peine s’achève mais libération ne signifie pas liberté.
L’ancien détenu est envoyé en « relégation perpétuelle » dans un village du Kazakhstan, aux portes du désert, où il reprend ses activités d’enseignant et se soumet au contrôle des autorités. Cette assignation à résidence est levée en 1956, à la faveur de la politique de déstalinisation. En 1957, comme des milliers d’autres, Soljénitsyne est réhabilité par une décision de la Cour suprême de l’U.R.S.S.
3 ★ 1962 : le succès d’Ivan Denissovitch ★
« À cinq heures du matin, comme tous les matins, on sonna le réveil ; à coups de marteau contre le rail devant la baraque de l’administration. De l’autre côté du carreau tartiné de deux doigts de glace, ça tintait à peine et s’arrêta vite : par des froids pareils, le surveillant n’avait pas le cœur à carillonner. » Ainsi commence Une journée d’Ivan Denissovitch, le récit d’un homme simple, Choukhov, matricule CH-854 dans un camp de travail.
En octobre 1962, la publication de cette œuvre dans la revue littéraire officielle Novy Mir connaît un énorme retentissement en U.R.S.S. Tout le monde s’arrache le numéro. Pour la première fois, une œuvre littéraire dénonce les crimes du stalinisme. Dans une langue familière, souvent savoureuse, le récit raconte la journée d’un bagnard, du lever au coucher, à -30°C. Rien d’extraordinaire.
Cependant, le froid, les fouilles, les comptages marquent le quotidien, tout comme les ruses pour grappiller une gamelle, cacher une lame ou offrir ses services aux chanceux qui reçoivent des colis. C’est la condition pour survivre. Dans cet univers, on peut se planquer mais aussi conserver sa dignité d’homme libre, celui qui s’adapte mais ne cède pas tout au système.
Soljénitsyne a rédigé ce court récit en trois semaines à peine, durant l’année 1959. Il l’a envoyé de façon anonyme au poète Tvardovski, rédacteur en chef de Novy Mir.
Enthousiaste, l’homme a longuement négocié avec les autorités pour obtenir les autorisations nécessaires, allant jusqu’à faire lire le texte à haute voix à Khrouchtchev en personne. Le moment apparaît favorable puisque le premier secrétaire a entamé une critique des excès du régime depuis la mort de Staline en 1953 accentuée par le XXIIe congrès de 1961.
Cette œuvre vient donc servir les luttes internes au Parti. Qu’importe, elle libère la parole : « Il s’est échappé alors comme un immense cri collectif. »
4 ★ Bras de fer derrière le rideau ★
À plus de quarante ans, Soljénitsyne se trouve propulsé sur la scène culturelle mondiale. Il mène de front plusieurs projets d’écriture, initiant la composition d’une œuvre explosive : L’Archipel du goulag, 1918-1956, Essai d’investigation littéraire. Le titre annonce l’ambition de ce « monument commun » dressé « à la mémoire de tous les suppliciés et de tous les assassinés ». L’écrivain souhaite porter les voix de la « nation zek », selon le diminutif désignant les bagnards.
Mais les temps ne sont pas propices au dévoilement de la vérité qui prend ici une ampleur inédite. En octobre 1964, le renversement de Khrouchtchev complique encore la donne. Le travail doit s’organise de façon souterraine avec l’appui d’un réseau clandestin.
En 1965, le KGB s’empare de manuscrits lors d’une perquisition : « C’est le début du duel entre l’écrivain et le pouvoir de Brejnev », résume Georges Nivat. Pendant plusieurs années, Soljénitsyne va défier les autorités, surtout à partir de sa lettre à l’Union des écrivains dans laquelle il dénonce la censure et les persécutions dont il fait l’objet (1967).
Exclusion professionnelle, retrait des bibliothèques, tracasseries juridiques dans ses affaires familiales, notamment son divorce, puis brimades, menaces, intimidations, campagnes médiatiques diffamatoires… Tous les moyens sont bons pour étouffer sa voix.
Il riposte en publiant Le Premier cercle et Le Pavillon des cancéreux à l’étranger (1968), accordant aussi des interviews à la presse internationale. En 1970, il reçoit le Nobel de littérature. Comment se débarrasser d’une telle célébrité sans esclandre ?
Le 30 août 1973, l’étau se resserre. Une dactylographe est retrouvée pendue chez elle après avoir été interrogée par le KGB auquel elle a livré la cachette d’un exemplaire de L’Archipel. Immédiatement, Soljénitsyne donne l’ordre de publier l’ouvrage en Occident. Le premier tome paraît en russe aux éditions YMCA-Press de Paris. Déchaînement de fureur.
Le 13 février 1974, l’écrivain est arrêté chez lui puis déchu de la nationalité soviétique et expulsé par avion spécial en Allemagne de l’ouest. Le pouvoir espère que l’exil atténuera son audience.
5 ★ Le génie littéraire ★
Il serait dommage de réduire Soljénitsyne à sa seule fonction de témoin. S’il a joué un rôle fondamental dans l’éveil des consciences soviétiques et occidentales sur la réalité du Goulag, il demeure d’abord un écrivain de très grand talent.
Certains critiques l’ont comparé à Rabelais pour la créativité jubilatoire de sa langue, à Dante qui est descendu jusqu’aux derniers cercles des enfers, à l’extrême limite du désespoir humain, à Victor Hugo le prophète exilé par Napoléon III ou à Émile Zola, autre figure de l’écriture engagée pour la justice. Il y a aussi bien sûr Tolstoï pour le souffle épique de ses œuvres et l’expérience du bagne.
La plume de Soljénitsyne explore les possibilités de la langue russe avec une audace formelle étonnante : il invente des mots, mêle des registres lexicaux, télescope des syntaxes, ralentit ou accélère des rythmes… Sur la forme, ses goûts le rapprochent de la littérature russe contemporaine avec par exemple une fervente admiration pour les poètes Sergueï Essenine (1895-1925) ou Marina Tsevataeva (1892-1941).
L’auteur expérimente des genres très différents : la nouvelle, le roman, la fresque historique, l’essai, la pièce de théâtre, le poème en prose, les mémoires, le carnet de notes… Avec lui, le lecteur s’engage dans un cheminement existentiel dont il ne peut ressortir indemne. C’est l’alliance de l’art et du réel, entre beauté et laideur, ironie et émerveillement, énergie et émotion, épopée et introspection… De quoi « élever (l’âme) à une expérience spirituelle » comme il l’explique dans son discours du Nobel de littérature en 1972.
6 ★ Pour l’amour de la Russie ★
L’attachement à la Russie, la « mère patrie », reste une constante chez Soljénitsyne (1918-2008) dont la vie se confond avec celle de l’U.R.S.S., jusqu’à connaître la présidence de Poutine. Provincial de cœur, l’écrivain préfère les forêts et les communautés villageoises aux charmes trop occidentaux de Saint-Pétersbourg. Il accuse d’ailleurs Pierre le Grand d’avoir sacrifié l’identité russe aux modes européennes. Les bolchéviques aussi ont trahi la vraie Russie. Mais comment a-t-elle pu tomber si bas ?
Après avoir démonté les mécanismes du Goulag dans L’Archipel, l’écrivain cherche à comprendre les origines du drame contemporain. C’est la quête de La Roue rouge, une fresque historique de 6 600 pages qui décortique les « nœuds » de la révolution, d’août 1914 à avril 1917. Il achève ce projet titanesque durant son exil américain (1976-1994), mettant à profit la solitude de sa maison du Vermont pour compulser une immense documentation et écrire ce deuxième monument littéraire.
Même banni, Soljénitsyne n’a jamais adopté la nationalité américaine. Il avait la conviction qu’il reviendrait un jour en Russie. C’est ce qui advient en 1994, après la chute de l’U.R.S.S. Symboliquement, l’ancien bagnard choisit d’atterrir à Magadan, à l’extrême-est du pays, au bord du Pacifique, une place forte du Goulag sibérien. Ensuite, pendant un mois, il voyage de ville en ville jusqu’à Moscou pour rencontrer la population.
S’il n’a jamais eu de prétention politique, ce nationaliste pense que la Russie possède son identité propre, farouche, indépendante, ascétique et orientale. Il prône un repli sur son territoire historique, sans fédération ni république satellite.
Soljénitsyne défend aussi les « humiliés » qui pâtissent de la libéralisation menée par le président Eltsine, dénonçant « l’État pirate qui se cache sous une bannière démocratique ». Poutine semble emporter plus d’adhésion même si l’écrivain conserve avec lui sa liberté de parole.
7 ★ Le lutteur face à l’Occident ★
À l’étranger, Soljénitsyne suscite de nombreuses oppositions. À gauche, il sème la zizanie. Beaucoup ont admiré l’auteur d’Ivan Denissovitch mais tous n’acceptent pas sa critique intransigeante du communisme. L’écrivain pose la question fondamentale : cette idéologie est-elle intrinsèquement mauvaise ? Et il répond oui, appelant à refuser toute complicité avec ses représentants.
De quoi susciter de vifs débats en Occident, à l’heure d’une détente diplomatique avec l’U.R.S.S., après des années de guerre froide, de la progression de pouvoirs communistes en Asie (Vietnam, Cambodge) ou ailleurs (Portugal) et de l’union des gauches dans de nombreuses démocraties pour des raisons électorales. Chaque pays réagit en fonction de son histoire et de son actualité. Ainsi, la France réserve à l’écrivain un accueil contrasté à cause de la prégnance du mythe révolutionnaire.
À droite, on pensait tenir un allié mais le banni surprend en lançant de sévères avertissements à l’Occident. Dans son discours de Harvard (1978), Soljénitsyne dénonce la dégénérescence d’une société ramollie par la consommation. Il prône l’autolimitation, la simplicité et le courage personnel. Son éthique s’inscrit dans une perspective chrétienne qui reconnaît la primauté de Dieu et ne fixe pas le bonheur individuel comme critère ultime de toute morale.
Visionnaire, le Russe met en garde les États occidentaux qui pensent imposer leur modèle au monde entier : ils risquent d’engendrer de violentes oppositions s’ils ne respectent pas l’autonomie des autres cultures. On le traite de nationaliste, de vieux slavophile, de moralisateur, de réactionnaire, de contrerévolutionnaire… Des journalistes le trouvent arrogant et despotique. Des dissidents l’insultent et le jalousent. Imperturbablement, il continue de tracer sa route, « grain tombé entre les meules », sûr de son destin.
Goulag
Le travail forcé au cœur du système soviétique
Publié ou mis à jour le : 2018-10-08 19:06:28
Le mot Goulag est un acronyme de Glavnoïé OUpravlenié LAGereï. Cette expression russe signifie « Direction principale des camps ». Elle désigne le système concentrationnaire soviétique responsable de la déportation de plus d’une vingtaine de millions de personnes à l’époque communiste. Le mot a été popularisé par le roman d’Alexandre Soljénitsyne, L’Archipel du Goulag (1973).
Le travail forcé au cœur du système soviétique
Le Goulag a eu de modestes précédents dans la Russie tsariste avec des brigades de travail forcé en Sibérie aux XVIIIe et XIXe siècles. Mais c’est avec la Révolution d’Octobre 1917 que le travail forcé devient un élément structurel majeur de la société. Lénine lui-même, après l’attentat dont il est victime le 30 août 1918 de la part de Fanny Kaplan, ordonne l’incarcération des « éléments peu sûrs », ce qui fait déjà beaucoup de monde.
Dès les années 1920, les Soviétiques ouvrent une centaine de camps de concentration qui ont vocation à « réhabiliter » les ennemis du peuple ou supposés tels.
Pour le pouvoir soviétique, la répression a l’avantage d’offrir une explication à ses échecs en tous genres : si la société communiste et le paradis sur terre tardent à s’installer, c’est qu’à mesure qu’on s’en rapproche, on doit faire face à une opposition de plus en plus virulente et sournoise de la part des « saboteurs » de tout poil !…
La répression change d’échelle en 1929 quand le nouvel homme fort de l’URSS décide de recourir au travail forcé pour accélérer l’industrialisation du pays et la mise en valeur de ses ressources.
Le système concentrationnaire ne va dès lors cesser de se développer jusqu’à la mort de Staline, le 5 mars 1953. Il finira par jouer un rôle central dans l’économie du pays, avec un tiers de la production d’or soviétique, d’une grosse partie de son charbon et de son bois d’œuvre, sans compter des productions manufacturières et agricoles.
Mais sitôt Staline disparu, ses successeurs vont s’empresser de le réduire sans toutefois le dissoudre. Conscients de l’inanité du travail forcé comme outil de développement, ils décrètent dès mars 1953 une très large amnistie. La moitié des 2,5 millions de déportés sont immédiatement libérés.
Les condamnés politiques, exclus de l’amnistie, vont obtenir une nouvelle vague de libération dans les deux années qui suivent, au prix de trois grandes rébellions, marquées par le refus de travailler. Les camps de travail vont dès lors subsister jusqu’à la fin de l’URSS et même aujourd’hui dans la Russie moderne, à une échelle bien moindre qu’auparavant. Il appartiendra à Mikhaïl Gorbatchev, lui-même petit-fils de détenus, d’abolir les camps politiques.
La violence sous toutes ses formes
À l’époque de Staline, le Goulag a consisté en un demi-millier de complexes, réunissant plusieurs milliers de camps, avec quelques centaines à quelques milliers de détenus ou zeks dans chacun d’eux, de la mer Noire à l’océan Arctique, du centre de Moscou au Kamtchatka.
Il est alimenté par un flux incessant d’arrestations, sous des accusations le plus souvent imaginaires ou futiles, par exemple le vol de quelques épis ou la vente d’un produit au marché noir. Nul n’est à l’abri et c’est la source d’une angoisse permanente dans la population soviétique. Mais la détention est rarement définitive.
Sa durée moyenne est d’environ cinq ans. Elle peut être de dix ans et s’éterniser jusqu’à la mort pour les détenus politiques et les opposants véritables, lesquels se retrouvent le plus souvent dans les camps de travail forcé très rudes du Grand Nord ou de l’Extrême-Orient, dans les régions minières du fleuve Kolyma, autour de la ville de Magadan.
Sur un total de 150 à 200 millions de Soviétiques, les camps de différentes sortes en retiennent environ deux millions. Mais, entre arrestations et libérations, les rotations incessantes font qu’une partie importante de la population soviétique fait d’une façon ou d’une autre l’expérience du Goulag.
On estime son nombre à dix-huit millions entre 1929 et la mort de Staline, non compris six millions de personnes reléguées dans les déserts kazakhs ou les forêts sibériennes, avec l’obligation de travailler mais sans être enfermées entre des barbelés.
Les détenus, selon tous les témoignages dont celui d’Alexandre Soljénitsyne, souffrent de travaux harassants, de violences de la part des gardiens ou des codétenus, de mauvaise hygiène et de typhus. Ils sont tenaillés en permanence par la faim et le froid. Sans surprise, deux millions au moins sont morts sans avoir retrouvé la liberté…